Le Minitel, basé sur la norme de VIDÉOTEX, voit le jour au début des années 80. Une expérimentation menée à Strasbourg, à la même époque où je suivais le cursus du Département de psychologie sociale des communications dirigé par Abraham Moles. C’est de cette expérience nommée GRETEL que naissent les « messageries rencontres » et le « Dialogue en direct » au cœur du service télématique du journal « Les dernières nouvelles d’Alsace » D.N.A. Si le projet initial partait d’un cadre institutionnel qui n’envisageait pas son succès par ce qui ne fut presque « qu’accident » : le « pouvoir de télé présence et de chaleur humaine » du « terminal Minitel » qui entrera dans des couches de la population française plus qu’aucun autre média n’aurait touché.
Dans les années 80, le besoin de communication et de rencontres, exploitait quelques espaces de « liberté interstitielle » tels la C.B., les petites annonces des radios libres naissantes et les numéros non attribués du réseau téléphonique parisien où se nouaient des histoires d’amour telles que décrites dans une œuvre de Marguerite Duras : « Le Navire Night ». Ce besoin de lien social, le Minitel l’a rencontré : succès fulgurant, effet « boule de neige » de l’expérience Grétel.
Entre 1983 et 1985, tout s’est accéléré : les expériences de Grétél commençaient à faire parler d’elle.
Des sociétés, liées à des groupes de presse (tels Libération et le nouvel observateur) comme des institutionnels (Cité de La Villette) ont expérimenté ce marché et certains firent développer des logiciels mieux adaptés à la messagerie dialogue, comme à la messagerie différée (Boîtes à lettres, correspondants un peu aux courrier électronique).
Ces acteurs ont acheté ou participé au financement de serveurs, que l’on appelait des « mini-ordinateurs » (de grosses machines, impressionnantes nécessitant des locaux climatisés) d’un coût impressionnant (plus d’un million de francs l’unité). Chaque machine ne pouvant gérer, au mieux, que 50 usagers, l’investissement était colossal : l’idée de partage, de centre serveur donc, est donc née. Le Groupe GCAM Sorinfor, lié à la Caisse des dépôts et consignations, a loué des machines partagées, et, du fait du hasard, le premier minitel gay en réseau local commuté « GR » est né de cette idée de partage…
Minitel et Santé : la question de l'addiction
L’aspect compulsif et obsessionnel de l’usage d’internet existait évidemment sur les messageries roses, mais ne semble pas avoir été particulièrement étudié. L’usager était vite sanctionné par la facturation. Le coût du service était régulateur : à 60F de l’heure, soit 300F/par soirée devant son minitel, la prouesse ne durait en général que deux mois, voire quatre pour les plus fortunés. Cependant, des accès à faible coût (le palier 3614 ou les accès RTC) permettaient à certains usagés, en dépensant en moyenne 3000 F/mois, de passer leurs nuits sur le réseau.
Minitel et Santé : Sida, la pandémie
Le virus du Sida, qui apparut dans les mêmes années que celles du Minitel, atteint nombre d’acteurs de cette « nouvelle économie » ou leurs proches. La prise de conscience du fléau fut donc rapide et la question du V.I.H. toujours correctement traitée sur le Minitel par des espaces d’information dédiés et une assistance en ligne. Une des premières campagnes « le sida ne passera pas par moi » fut d’ailleurs hébergée sur le Groupe GCAM-Sorinfor, dont les progiciels bases de données/Questions-Réponses, développé par un ingénieur, Philippe Labarde, était des plus brillants. Le minitel a donc croisé, dans une période très riche de notre histoire et pleine de « devenir » à la Deleuze l’apparition et l’impact du SIDA, qui a conduit au décès de nombre d’acteurs et d’utilisateurs de ce nouvel outil.
Le Minitel : une alternative aux lieux de rencontres
La communication anonyme, dans une logique de rencontre, est donc, pour beaucoup, à l’origine du succès du Minitel, la diffusion d’information étant donc reléguée au second plan, sans doute par manque d’intérêt populaire, mais aussi du fait de la norme Télétel qui reste du texte (une seule police) associé à de grossiers caractères graphiques. Cependant, l’analyse de l’expression en ligne des usagers et celle des réseaux de sociabilité sur Minitel est riche d’enseignements pour les chercheurs en sciences sociales.
En quelques années, les services minitel, destinés aux homos ou bisexuels, pour ne parler que d’eux, deviennent de véritables « terrains de rencontres et de chasse » organisés, tant du point de vue géographique (La Synergie 3615 Mec étant forte sur l’ouest atlantique, Fred pour le Nord, Guy et Gretel pour l’Est), que thématique (le groupe Gai-Pied ayant, par exemple 3615 LUC ou 3615 KIKO en Soft fun, 3615 GPH en généraliste et 3615 NIC ou 3615 CORTO pour le SM).
Au cœur de ce éditions on voit que les sections correspondent bien à ce que plus tard l’Internet reproduira : profils et recherches annuaire, listes des services et ressource, section Santé souvent maintenue par l’association AIDES répondant aux questions des minitélistes (safer-sexe, pratiques sexuelles marginales, etc.).
À partir de l’année 1995, le marché est saturé et se réorganise. Effet de concurrence oblige, diminution des marges, les groupes financiers les plus importants (émanant des centres serveurs) rachètent les petits éditeurs. Internet commence à faire parler de lui outre-Manche.
L'arrivée d'Internet au début des années 2000
Succédant au réseau transpac, à partir des années 2000, Internet devient « le lieu à fréquenter » pour les hommes gays cherchant des partenaires ou, plus simplement, à naviguer à la recherche d’excitation sexuelle : les contenus sont enrichie et durant 10 ans la technologie progresse. L’arrivée des terminaux mobiles a produit une plus grande accessibilité des applications et chats de rencontres sans que leurs utilisateurs n’aient les acquis et le « background » nécessaires à un usage sécuritaire des échanges ou à l’exposition à des sexualités à risque, aux rapports tarifés, à l’achat et à la consommation de substance.
De la prise en compte de la santé sexuelle sur Internet
Les éditeurs de mnémonique Minitel (soumis à de fortes régulations) ont, pour la plupart, appliqué une surveillance constante 24H/24 des échanges publics et pris soin de mettre en ligne des sections sur la prévention du VIH. Dans cette continuité, les éditeurs des principaux sites de rencontres des années 2000 ont mis en place des sections des rubriques de conseils et de prévention (ex. : citegay, Gayvox, SmBoy etc.) et facilité l’accès à leur contenu aux associations.
Cette manière de procéder et de maintenir, au cœur des rencontres en ligne des messages de prévention et de réduction des risques, ne semble pas répliquées par les principaux éditeurs d’applications mobiles, aujourd'hui mondialisés. Rendant peu accessibles leurs contenus et utilisateur aux groupes communautaires ou aux chercheurs, les propriétaires des plus importantes applications mobiles surfent par contre sur la vague PrEP, questionnant leurs utilisateurs sur leur sérologie et démarche de dépistage, avec quelques scandales à la clef, Grindr ayant permis l’accès ces données sensibles à des annonceurs ou entreprises partenaires.
Notons aussi l’existence une forte mixité des rencontres sur des sites web traditionnels s’adressant majoritairement aux personnes hétérosexuelles (Ex. : Skyrock – Coco), mais aussi sur des applications mobiles (Tinder).
Ainsi, les analyses secondaires de nos échantillons montrent que les utilisateurs des applications mobiles sont plus susceptibles de s’exposer à des comportements sexuels à risque, à la consommation de substances ou au travail du sexe.
Passant de la génération MINITEL/SIDA à la génération APPLI/PrEP... Sommes-nous tout autant LIBRES QUE RESPONSABLES ?